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Yiqing YINMétamorphoses, céder à l'instinct, éviter le chaos

Chirurgie esthétique et haute couture : même recherche

Née en 1985 à Pékin, Yiqing YIN a étudié à l'École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs.
Son travail révèle une nouvelle approche de la couture, qui lui vaut d'être récompensée par des prix prestigieux.

Quel rapport voyez-vous entre la chirurgie plastique et la haute couture ?

Le pouvoir. Celui de remodeler, celui de décider d'une identité. Le vêtement est une construction identitaire qui permet de communiquer au public une image telle qu'elle la fantasme. Nous sommes le passage entre le monde tel qu'il est et celui qu'il devrait être.

LE VRAI RESTE DONC CACHÉ ?
Oui, un décalage se crée entre l'apparence et le soi. Et grâce à la haute couture, ce décalage peut prendre de multiples formes. La diversité de la mode offre le choix d'expérimentations ludiques qui permettent à la femme de changer d'histoire, de couleur, de vie, et même de futur ! Autrement dit, j'ai le pouvoir d'associer une femme à une circonstance. Le chirurgien n'a donc pas la même liberté, puisque son geste est irréversible – même si certaines femmes sont multirécidivistes !

ORLAN, PAR EXEMPLE ?
Orlan est un cas exceptionnel. Elle pousse à l'extrême son expérience de cobaye afin d'effectuer ses propres recherches, et d'en publier le bilan en termes de psychologie. Grâce à la haute couture, la femme devient donc polymorphe !Elle se dit : « je puis faire ce que je veux de mon corps, qui est mon premier habit, ma carapace ». Avec chaque vêtement, elle change de masque. Comme au carnaval de Venise, elle jette en pâture une apparence qui exalte le mystère de son âme.

L'enveloppe que je construis est fluide

MANIFESTEMENT, L'ÉCORCE QUE VOUS DESSINEZ LAISSE TRANSPARAÎTRE LES STRIURES SOUS-JACENTES ?
Tout à fait. C'est d'ailleurs, en termes de labeur, l'essentiel de mon travail. Je tente, avec mes drapés, de suivre les méandres de ce qu'ils sont censés cacher. L'enveloppe que je construis est fluide et se laisse motiver par les formes du corps qui dictent leur trajectoire. Mes vêtements sont allusifs, ils reflètent la structuration interne sans pour autant la dévoiler totalement. Je maquille, mais ne transforme pas. D'où cette impression fréquente de mimétisme par rapport à ce qui se trouve sous l'écorce.
De façon purement esthétique, je travaille le corps mutant, avec les matières que l'on utilise pour l'habillement : tissus, cuir, cristaux, minéraux, etc. Et je traite le tissu à travers les frappés et les tissés en vue de les rendre charnus, organiques, à mi-chemin entre créature et nature. Je n'hésite pas, dans ce but, à faire appel à des éléments visuels (squelette, mousse sur des rochers, vagues…).
Dans ces métamorphoses, je garde évidemment le cap des proportions flatteuses pour le corps féminin, mais sans brutalité. Un peu comme la suave interpénétration des muscles ou tout simplement comme les strates cachées par l'écorce…

COMMENT PEUT-ON PRÉSENTER UNE COLLECTION ALORS QUE CHAQUE CORPS EST SPÉCIFIQUE ?
Une collection est un message reflétant une tendance. C'est la raison pour laquelle mes mannequins proviennent de différentes origines. Une fois le message passé, la cliente vient me voir et nous entamons un long dialogue. Je la fais évoluer dans l'espace, je l'expose aux miroirs, je l'interroge sur ses aspirations immédiates ou lointaines. Bref, je la fais accoucher d'elle-même. Ce n'est qu'après avoir totalement appréhendé sa personnalité que des premières esquisses verront le jour.

TEL UN CHIRURGIEN, VOUS PROPOSEZ DES SOLUTIONS QUE VOS « PATIENTES » N'AVAIENT PAS ENVISAGÉES ?
C'est très différent. La femme qui fait appel à la haute couture a déjà un parcours, une expérience, une culture. Elle connaît ses points forts et ses points faibles. Elle sait ce qu'il faut souligner et ce qu'il faut cacher. Elle est lucide sur ses apparences. Les attentes sont donc moins incertaines. C'est plutôt le détail de la proposition qui lui échappe.

Je prémédite mon projet

VOUS LANCEZ DONC RAPIDEMENT LES ESQUISSES ?
Je prends déjà le temps de laisser les idées cheminer. Je prémédite mon projet. Une fois qu'il est arrêté, je choisis les bons matériaux, ceux qui sont le plus susceptibles d'exprimer le sentiment qui se dégagera au final. Mon approche est verticale, très éloignée de la coupe à plat.
Viennent ensuite la préparation de la matière, le tissage, le plissé, bref, la mise en volume d'une surface plate qui devra trouver son souffle. Puis il faut mettre en œuvre son enchevêtrement en respectant un équilibre entre l'instinct et le chaos pour ne pas tomber dans la caricature.
Au final, j'aurai élaboré, grâce à cette cotte de mailles, une armure molle !

LES HOMMES ?
Habiller un homme est moins intéressant car il y a redite et les éléments sur lesquels on peut intervenir sont moins divers. De surcroît les formes sont moins faciles à travailler.

ON POURRAIT IMAGINER QUE VOUS AYEZ UN RÔLE DE STYLISTE DANS LES CABINETS DE CHIRURGIE PLASTIQUE ?
On retrouve des stylistes dans toute l'industrie de la décoration physique. Le chirurgien fait de très longues études pour apprendre son métier si difficile. Dans l'état actuel des choses, on ne lui impose pas un cursus artistique symétrique, probablement parce que ses études n'en finiraient pas.
Ce serait tellement plus simple que les consultations se fassent à trois ! Le ou la styliste apporterait son expérience qui conforterait la décision du praticien. La force rencontrerait la grâce. Et accessoirement, la patiente lui ferait d'autant plus confiance !
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