Après avoir ausculté les méandres de la pathologie physique de la mode et du corps, en tant que styliste, Nicole Tran Ba Vang montre aujourd'hui le revers du culte de la perfection et de la valeur statutaire du vêtement. Une série de collections de prêt-à-porter qui se cale volontairement sur la temporalité de la mode, ses saisons, ses tendances empruntant son langage, son esthétique, soulignant parfois l'absurdité de son système par le biais de l'humour. Mais ici le vêtement joue l'ambiguïté avec le corps. Il se transforme en habit de nudité, il est en peau et se confond, par endroits, intimement avec le corps pour interroger notre apparence au-delà du vêtement, à travers le corps lui-même considéré comme un vêtement. Le corps devient terrain de transformation comme pour s'extirper de son être ou mieux contrôler et manipuler son identité. "Être ou ne paraître", un jeu de mots que Nicole Tran Ba Vang utilise pour définir le territoire de son champ d'expression. Un corps-à-corps avec son identité par-delà une esthétique imposée.
Corps parfait, corps torturé, corps mutant, corps immatériel. Toutes ces phases correspondent aux différentes manifestations du corps dans l'histoire de l'art. D'abord figure héroïque, le corps est aujourd'hui le sujet d'une hystérie collective en vue de mieux l'incliner à suivre et rendre compte de notre volonté d'identité et de perception. Nicole Tran Ba Vang traduit cette volonté d'agir sur la perception externe et interne de son corps par la modulation de l'épiderme, son " accessoirisation ", sa flexibilité. Dans une société qui assoit son devenir sur une consommation jetable, toujours plus éphémère pour accueillir la possibilité d'un changement et d'un renouvellement rapide, l'artiste propose une solution alternative aux crèmes et pilules miracles et à la chirurgie esthétique, chirurgie plastique. Un corps à mi-chemin entre le corps réel et le corps fantasmé. Une peau " chirurgicale ", à la plastique irréprochable à choisir selon son fantasme, selon l'identité que l'on a de soi et celle que l'on souhaite projeter.
Chacune de ses collections renvoie à une réflexion sur les multiples désirs et sujets de modifications corporelles médiatisées aujourd'hui : la pilosité, le bronzage, les fesses, les seins, les attributs pour se camoufler ou mieux s'exhiber. Elle décline une panoplie des solutions "anti-complexes" pour faire corps avec soi-même.
Jérôme Sans
Fondateur du Palais de Tokyo