Féminiser le visage
Un enjeu social
Ex-président de la Société française des chirurgiens esthétiques plasticiens (SOFCEP), le Dr Patrick Bui s'est intéressé au vieillissement facial en fonction des modifi cations volumétriques, publiant des recommandations en matière de complémentarité des traitements médicaux et chirurgicaux. Formé à la chirurgie cranio-faciale à l'hôpital Foch (près de Paris), il a travaillé sur les morphotypes squelettiques masculins et féminins, mais aussi multiethniques. Il enseigne à Paris V et partage son activité libérale entre son cabinet médical et l’Hôpital américain de Paris où il dirige l’unité de chirurgie plastique et esthétique. Le monde entier s’y bouscule car il y propose une spécialité rarissime : la féminisation du visage au naturel, ce qui répond manifestement à un besoin thérapeutique (pour les transsexuels), mais aussi à un besoin cosmétique pour certaines femmes.
Dr BUI, POURQUOI VOUS ÊTRE ORIENTÉ VERS CETTE SPÉCIALITÉ ?
Le mystère de la beauté a toujours passionné le monde de la philosophie, de la littérature et… de la chirurgie. Témoins en sont les multiples ouvrages consacrés – à toutes les époques et dans toutes les langues – à ce sujet. Umberto Eco, après son « Histoire de la Beauté » (2004), vient même de publier une deuxième saison : « Histoire de la Laideur » !
LA BEAUTÉ EST FÉMININE
Or, la beauté est associée au sexe féminin. Féminiser un visage, c’est la quête du Graal, c’est la recherche de l’évanescence, à l’ombre des jeunes filles en fleurs. C’est un mystère dont on cherche les clés. Mais ce sont aussi, fort heureusement, des caractéristiques que l’on peut identifier et, le cas échéant, réparer.
C’est au contact des transsexuels que j’ai compris cet enjeu et que j’ai pu matérialiser cette recherche. En effet, ces personnes en souffrance permanente ne pourront pas retrouver une vie sociale équilibrée sans un visage totalement cohérent avec leur personnalité profonde.
TRANSFORMATION ANATOMIQUE,MAIS AUSSI MORPHOLOGIQUE
La première étape est évidemment la transformation anatomique, qui va leur permettre de se réconcilier avec eux-mêmes.
Mais, pour qu’ils se réconcilient avec leur entourage, il leur faudra aussi subir une transformation morphologique, sous peine d’être assimilés à des transformistes de cabaret. Pour des rapports sociaux apaisés, les transsexuels doivent présenter à leurs interlocuteurs un visage véritablement féminin, et si possible – cela va sans dire – beau.
ALORS, COMMENT REND-ON UN VISAGE « FÉMININ » ?
Une réparation harmonieuse commence par le squelette, se prolonge par les parties molles, et se termine par la peau.
POUR LE SQUELETTE ?
HOMME ET FEMME : À CHACUN SA STRUCTURE
Déjà, des caractères morphologiques objectifs doivent être pris en compte. La structure d’un visage féminin n’est pas la même que celle d’un visage masculin (ce qui est valable pour l’homme, mais aussi pour certains animaux, dont le gorille [figure]).
Commençons par les volumes osseux : Les bosses supra-orbitaires sont plus volumineuses chez l’homme, les orbites sont plus larges, l’angle du nez est plus fermé. La mâchoire inférieure est plus large et plus carrée, tout comme le menton. En outre, les gencives sont recouvertes par les lèvres.
ET EN CE QUI CONCERNE LES PARTIES MOLLES ?
Les os ne sont effectivement pas seuls à déterminer les volumes : la graisse est moins présente chez l’homme, les muscles sont plus larges, la fossette mentonnière est plus affirmée, la peau est plus épaisse, l’implantation des cheveux n’est pas la même (plus basse, en forme de M, et parée de deux golfs symétriques chez l’homme). Chez la femme, cette implantation est courbée. [Figure].
Les sourcils n’ont pas le même positionnement ni la même forme. En effet, le sourcil masculin est plus horizontal, un peu au-dessous du rebord orbitaire supérieur. Il est droit et épais. Alors que le sourcil féminin se trouve à peine au-dessus du rebord orbitaire supérieur. Il est aussi plus fin et plus arqué. [figure]. Les cils sont plus longs chez la femme, la pilosité étant, évidemment, différente. Le cartilage thyroïde (« pomme d’Adam ») est plus proéminent.
RELIEFS PLUS DOUX
D’une manière générale, le visage féminin offre des reliefs plus doux et présente des courbes plus harmonieuses [figure]. C’est en réalité la structure osseuse qui sert d’assise à ces différences morphologiques, permettant d’attribuer son sexe au visage.
VOUS ALLEZ DONC ANALYSER TOUTES CES DONNÉES ?
Bien entendu. Mais, comme on s’en doute, au terme d’une préparation qui s’étend sur de longs mois, et cela, en fin de traitement endocrinologique, qui aura déjà déclenché des transformations visibles des parties molles.
DES PHOTOS EN 3D
L’analyse des critères squelettiques est clinique mais également radiologique. Un bilan complet est établi, en particulier grâce à un scanner en 3D. Le bilan morphologique, pour sa part, passe par des photos en 2D et en 3D – grâce à des équipements dont très peu de structures dans le monde sont équipées. Le mode de vie est également passé au crible (vie privée, vie sociale, vie professionnelle). Les aspirations profondes de l’intéressé(e) sont aussi discutées. Une fois ces étapes franchies, on passe au morphing grâce à des logiciels spécialisés, qui permettront de faire des projections sur les résultats. S’ensuit un dialogue duquel sortira une proposition qui tiendra compte de ce qui est à la fois souhaitable, raisonnable et… possible.
ON PEUT ALORS INTERVENIR ?
Oui, et ce, sur trois zones distinctes.
TROIS ZONES D’INTERVENTION
Tout d’abord, la féminisation fronto-orbitaire et nasale pour la partie supérieure [figure]. Il peut s’agir d’un remodelage, associé soit à une ovalisation du cadre orbitaire par ostectomie (réduction des volumes osseux), soit à un ajustement de la zone fronto-orbito-nasale.
Le geste se fait par voie coronale, c’est-à-dire par incision intracapillaire. Mais ici, on peut aussi prévoir une incision précapillaire de manière à obtenir un avancement du scalp et ainsi une réduction de la hauteur du front golfé. C'est ce que l'on appelle le « scalp advancement ». L’implantation des cheveux est en effet généralement plus basse, et, comme on l’a vu, de forme différente chez l’homme. On peut aussi effectuer un lifting fronto-temporal, ce qui aura pour effet de féminiser les sourcils et leur apportant une forme plus caractéristique.
Puis vient la partie médio-faciale [figure]. Parfois, on allonge légèrement le squelette pour donner une apparence plus féminine. On remonte légèrement la lèvre supérieure (« lip lift »), en créant de surcroît un ourlet par injection de graisse. Le nez masculin étant généralement plus affirmé, on effectue une rhinoplastie de féminisation. Reste la partie inférieure, qui vise à modifier les angles de la mâchoire et à adoucir le menton .
CETTE PROCÉDURE NE S’ENVISAGE QUE POUR LES TRANSSEXUELS ?
Certaines femmes supportent mal leur aspect « garçonne », qui peut être inné ou acquis, car le squelette se masculinise en vieillissant. L’arcade orbitaire s’épaissit, la zone sourcilière devenant alors plus saillante [figure]. L’os alvéolaire se réduit, créant un recul de la lèvre supérieure. La graisse devient moins dense, les tissus mous fondent, durcissant les traits. Il est donc possible de les radoucir, de reféminiser un front subissant un vieillissement disgracieux du fait d’une partie osseuse plus volumétrique.
LA VANITÉ N’EST PAS LE SEUL ENJEU
Car il ne faut pas oublier que, dans le domaine esthétique, il n’y a pas que des problèmes de vanité. Il y a la souffrance du regard des autres. Et il y a les enjeux professionnels pour certains métiers particulièrement exposés (show business, barreau, politique…).
Mais l’objet véritable de la féminisation d’un visage est de lui conférer un aspect normal (sans être banal), féminin bien sûr, et surtout… parfaitement naturel.